Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Blaireau - Carnet éditorial
Le Blaireau - Carnet éditorial
Publicité
Le Blaireau - Carnet éditorial
Derniers commentaires
Archives
15 août 2006

L'objectivité, impossible quête

Ce billet est le second de la série « Sommes-nous manipulés par les médias ». Vous excuserez une fois de plus mon absence prolongée; le temps me manque et écrire dans ce carnet n'apporte malheureusement pas de pain dans mon assiette !

Ce second billet propose une réflexion globale sur le concept d'objectivité. J'inscris cette réflexion dans une suite traitant des médias, mais ce problème n'est pas que celui des journaliste : il affecte aussi bien l'écrivain que l'historien ou encore le juge...

Dans bien des domaines, la crédibilité d'une personne repose sur sa capacité à « faire preuve d'objectivité » dans sa représentation du monde. Le journaliste qui décrit une guerre ou le juge qui entend une cause doivent laisser derrière eux leur moi-pensant, c'est-à-dire tout leur bagage éducationnel, idéologique, leurs valeurs et leurs préjugés. Bref, ils recherchent tous un état d'objectivité, au sens optique du terme : ils veulent percevoir le monde comme s'ils n'étaient qu'une froide lentille, un regard sans corps.

Cette quête est-elle possible ? Le principal problème survient justement dans les moyens, et non dans la fin. La lentille d'une caméra est, en elle-même, véritablement objective, c'est à-dire qu'elle reproduit exactement ce qu'elle capte du monde, sans aucune discrimination. Toutefois, la même caméra n'est plus objective du moment où, derrière la lentille, un œil sélectionne ce qu'il y a à capter. Toute sélection ne peut être objective car elle se base invariablement sur une mécanique d'inclusion/exclusion qui oblige à faire un choix. Ce choix est évidemment subjectif (tourné vers le sujet) : il ne dépend plus de ce qui est regardé mais bien de celui qui regarde, un regard qui fait appel à son moi-pensant pour juger de ce qui est ou non digne d'être capté. Dès lors, toute sélection, tout choix ne peut être universel ou objectif.

Objectivité : Qualité de ce qui existe indépendamment de l'esprit (Le Petit Robert).

Il ne faut pas confondre objectivité et neutralité. Par exemple, un journaliste peut rapporter les faits suivants : « Un incendie a détruit une grange située sur le rang Saint-Barthélémy dans la municipalité de Saint-Glinglin ». La phrase est neutre, au sens où elle est exempte de tout jugement, mais elle n'est pas objective car elle implique encore une fois un choix, celui de passer sous silence tel ou tel aspect de l'événement. Cette incontournable subjectivité provient de l'essence même de la langue et de son incapacité à rendre parfaitement le réel. Un objet, en lui-même est objectif puisqu'il est un être là. Mais comme toute langue est invariablement une création de l'esprit (qui se donne des moyens de communiquer), toute manifestation linguistique d'un objet ou d'un événement ne peut être objective parce qu'elle est obligatoirement dépendante de la même construction de l'esprit (la langue) qui lui attribue un sens non universel basé sur une vision du monde distincte et surtout très limitée. Ouf. Vous me suivez, jusqu'ici ?

De même, un historien qui décide de faire le récit de telle ou telle bataille historique est confronté lui aussi aux limites inhérentes au langage : il doit choisir quels aspect seront inclus ou exclus dans son récit. Bien sûr, il peut en faire un récit neutre (et encore, il y a le problème des sources, car l'historien se base sur des témoignages qui, eux, ne sont pas forcément neutres) mais certainement pas objectif, pour les raisons mentionnées précédemment.

S'il m'apparaît clair que l'objectivité est un concept absolument impossible à atteindre, la neutralité, elle, me semble une chose possible mais très difficilement réalisable. Sous l'apparence de la neutralité (c'est-à-dire l'absence de jugement par rapport à l'objet) se produisent souvent bon nombre d'hypocrisies et c'est justement là que se situe le potentiel de manipulation de l'information par les médias. Ainsi, un journaliste qui assiste à une conférence de presse peut choisir les propos qu'il va rapporter dans son article, comme il peut choisir d'en passer bon nombre sous silence. Même si les propos sont rapportés de façon neutre (linguistiquement parlant, il n'y a pas de jugement dans l'article) le résultat ne peut pas, lui, être neutre : le journaliste peut passer des faits sous silence ou encore citer des propos hors-contexte pour faire paraître le conférencier plus ou moins crédible, par exemple. C'est ce que clâme le Docteur Mailloux à propos de l'émission Tout le monde en parle où il avait semé la consternation en disant que les Noirs et les Indiens avaient un quotient intellectuel inférieur à la moyenne. Il affirme avoir tenté de s'expliquer mais que le montage de l'émission a fait en sorte que les producteurs n'ont présenté que les extraits compromettants, de façon à projeter une image faussée et scandaleuse de sa personne. Je ne me porterai pas à la défense du Doc Mailloux (loin de là...) mais je crois qu'il touche néanmoins à un point qui rejoint notre argumentation à propos de la neutralité dans les médias, à savoir que le média peut, sous le couvert d'une neutralité apparente, basculer sournoisement dans la manipulation d'information fidèle au dicton « ce qu'on ne sait pas ne fait pas de mal ».

Sans vouloir être fataliste, j'ai l'impression que cette pratique hypocrite est largement partiquée dans les médias d'information et que nous ne pouvons pas avoir l'esprit tranquille dans une société où nous savons les médias engagés sur le plan idéologique (voir le précédent billet).

Mon prochain billet traitera de la langue, celle-là même qui rend toute objectivité impossible, ainsi que des abus dont elle est victime de la part des médias.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité