L'objectivité, impossible quête
Ce billet est le second de la série «
Sommes-nous manipulés par les médias ». Vous excuserez une fois de plus mon
absence prolongée; le temps me manque et écrire dans ce carnet n'apporte
malheureusement pas de pain dans mon assiette !
Ce second billet propose une réflexion globale sur
le concept d'objectivité. J'inscris cette réflexion dans une suite traitant des
médias, mais ce problème n'est pas que celui des journaliste : il affecte aussi
bien l'écrivain que l'historien ou encore le juge...
Dans bien des domaines, la crédibilité d'une
personne repose sur sa capacité à « faire preuve d'objectivité » dans sa
représentation du monde. Le journaliste qui décrit une guerre ou le juge qui
entend une cause doivent laisser derrière eux leur moi-pensant, c'est-à-dire tout leur bagage éducationnel,
idéologique, leurs valeurs et leurs préjugés. Bref, ils recherchent tous un
état d'objectivité, au sens optique
du terme : ils veulent percevoir le monde comme s'ils n'étaient qu'une
froide lentille, un regard sans corps.
Cette quête est-elle possible ? Le principal
problème survient justement dans les moyens,
et non dans la fin. La lentille d'une
caméra est, en elle-même, véritablement objective,
c'est à-dire qu'elle reproduit exactement ce qu'elle capte du monde, sans
aucune discrimination. Toutefois, la même caméra n'est plus objective du moment
où, derrière la lentille, un œil sélectionne
ce qu'il y a à capter. Toute sélection
ne peut être objective car elle se base invariablement sur une mécanique d'inclusion/exclusion
qui oblige à faire un choix. Ce choix est évidemment subjectif (tourné vers le sujet) : il ne dépend plus de ce qui
est regardé mais bien de celui qui regarde, un regard qui fait appel à son moi-pensant pour juger de ce qui est ou
non digne d'être capté. Dès lors, toute sélection, tout choix ne peut être
universel ou objectif.
Objectivité : Qualité de ce qui existe
indépendamment de l'esprit (Le Petit
Robert).
Il ne faut pas confondre objectivité et neutralité.
Par exemple, un journaliste peut rapporter les faits suivants : « Un
incendie a détruit une grange située sur le rang Saint-Barthélémy dans la municipalité
de Saint-Glinglin ». La phrase est neutre,
au sens où elle est exempte de tout jugement, mais elle n'est pas objective car elle implique encore une
fois un choix, celui de passer sous silence tel ou tel aspect de l'événement. Cette
incontournable subjectivité provient de l'essence même de la langue et de son incapacité
à rendre parfaitement le réel. Un objet, en lui-même est objectif puisqu'il est
un être là. Mais comme toute langue
est invariablement une création de l'esprit (qui se donne des moyens de communiquer),
toute manifestation linguistique d'un objet ou d'un événement ne peut être
objective parce qu'elle est obligatoirement dépendante de la même construction
de l'esprit (la langue) qui lui attribue un sens non universel basé sur une vision
du monde distincte et surtout très limitée. Ouf. Vous me suivez, jusqu'ici ?
De même, un historien qui décide de faire le
récit de telle ou telle bataille historique est confronté lui aussi aux limites
inhérentes au langage : il doit choisir
quels aspect seront inclus ou exclus dans son récit. Bien sûr, il peut en faire
un récit neutre (et encore, il y a le
problème des sources, car l'historien se base sur des témoignages qui, eux, ne
sont pas forcément neutres) mais certainement pas objectif, pour les raisons mentionnées précédemment.
S'il m'apparaît clair que l'objectivité est un
concept absolument impossible à atteindre, la neutralité, elle, me semble une
chose possible mais très difficilement réalisable. Sous l'apparence de la
neutralité (c'est-à-dire l'absence de jugement par rapport à l'objet) se produisent
souvent bon nombre d'hypocrisies et c'est justement là que se situe le
potentiel de manipulation de l'information par les médias. Ainsi, un
journaliste qui assiste à une conférence de presse peut choisir les propos qu'il
va rapporter dans son article, comme il peut choisir d'en passer bon nombre
sous silence. Même si les propos sont rapportés de façon neutre (linguistiquement
parlant, il n'y a pas de jugement dans l'article) le résultat ne peut pas, lui,
être neutre : le journaliste peut passer des faits sous silence ou encore
citer des propos hors-contexte pour faire paraître le conférencier plus ou
moins crédible, par exemple. C'est ce que clâme le Docteur Mailloux à propos de
l'émission Tout le monde en parle où
il avait semé la consternation en disant que les Noirs et les Indiens avaient
un quotient intellectuel inférieur à la moyenne. Il affirme avoir tenté de s'expliquer
mais que le montage de l'émission a fait en sorte que les producteurs n'ont présenté
que les extraits compromettants, de façon à projeter une image faussée et
scandaleuse de sa personne. Je ne me porterai pas à la défense du Doc Mailloux
(loin de là...) mais je crois qu'il touche néanmoins à un point qui rejoint notre
argumentation à propos de la neutralité dans les médias, à savoir que le média
peut, sous le couvert d'une neutralité apparente, basculer sournoisement dans
la manipulation d'information fidèle au dicton « ce qu'on ne sait pas ne fait
pas de mal ».
Sans vouloir être fataliste, j'ai l'impression
que cette pratique hypocrite est largement partiquée dans les médias d'information
et que nous ne pouvons pas avoir l'esprit tranquille dans une société où nous
savons les médias engagés sur le plan idéologique (voir le précédent billet).
Mon prochain billet traitera de la langue,
celle-là même qui rend toute objectivité impossible, ainsi que des abus dont
elle est victime de la part des médias.