Le poids de la honte
Contrairement à ce que disait René Lévesque lors de l'élection du PQ en 1976, aujourd'hui, je n'ai jamais eu aussi honte d'être Québécois.
Première incongruité terrible : comment se fait-il que le Québec puisse réélire, ne serait-ce que minoritairement, le gouvernement de Jean Charest qui, pourtant, a tout fait pour être détestable pendant les quatre dernières années ? Qu'on dise que le peuple a la mémoire très courte, cela est chose établie. Mais il y a une large différence entre avoir la mémoire courte et n'avoir pas de mémoire du tout, de ne pas du tout considérer les événements du passé quand on entre dans l'isoloir pour marquer notre X, bref, de faire exactement comme les populations pseudo-démocratisées du tiers monde, celles qui, nullement au courant des moindres enjeux politiques de leur pays, placent leur croix à côté du candidat qui a la tête la plus sympathique. On pourrait pourtant être tenté d'accorder au Québécois moyen une certaine conscience politique, partant du fait que la majorité d'entre nous sommes au moins alphabétisés, au plus diplômés et que, par conséquent, nous avons accès à l'information, aux enjeux, aux idées. Expliquez-moi donc comment faire pour oublier quatre années d'arrogance libérale, un gouvernement hautain qui n'en a fait qu'à sa tête, la plupart du temps en allant à l'encontre de l'opinion publique et de la volonté des citoyens ? Comment oublier les scandales, le copinage avec les conservateurs d'Ottawa, la loi 142 ? Et comment diable les résidents d'Orford ont-ils pu oublier la vente éhontée de leur parc national aux intérêts privés, en réélisant le libéral Pierre Reid dans leur comté ? J'ai parfois l'impression qu'on pourrait faire absolument n'importe quoi aux Québécois : liquider leur pays, leurs emplois, leurs programmes sociaux, leur langue, et que tout ça ne changerait absolument rien au résultat d'un scrutin, de la même manière que les populations démocratisées d'Afrique reportent constamment au pouvoir les tyrans les plus corrompus du monde.
Deuxième incongruité terrible : l'avènement d'un nouveau Messie. Si au moins la population d'un peu partout au Québec (et nous le savons maintenant, ce n'est plus un phénomène isolé à la seule région de Québec) avait voté pour Mario Dumont par conviction idéologique, je ne pourrais que m'incliner devant la voix du peuple, même si je ne partage pas du tout cette vision d'un Québec conservateur à la sauce Maria Chapdelaine. Toutefois, le Québécois adéquiste n'a pas voté pour Mario Dumont en raison des idées car, soyons francs, il n'en a pas. Mario Dumont vogue sur une conception utopique et irréaliste des relations fédérales-provinciales et, pour rendre ses projets le moindrement crédibles sur le plan financier, annonce ouvertement qu'il mettra en péril presque tous les acquis sociaux québécois : quasi-gratuité scolaire, gratuité des services de santé, et l'administration étatique qui en découle. Toutefois, sa campagne électorale, qu'on vante pour des raisons assez obscures, n'a aucunement été centrée sur les idées : la preuve est que l'ADQ n'avait qu'hypothétiquement chiffré ses engagements électoraux, prétextant attendre le budget fédéral pour ce faire. Or, même après le budget électoral, comme il ne restait qu'une semaine de campagne, on a préféré continuer à courtiser directement les citoyens sans les importuner avec des chiffres, qu'ils soient fantaisistes ou non. De plus, on n'a pas non plus voté pour l'ADQ pour la crédibilité de son équipe, crédibilité inexistante s'il en est, car tous ses candidats sont d'illustres inconnus choisis dans la hâte de présenter un candidat dans chaque circonscription. Conséquemment, Mario Dumont s'est présenté au fil d'arrivée sans idées, sans équipe, avec rien d'autre qu'un discours médiocrement populiste dont le leitmotiv était : « Y faut qu'ça change ! ». Pourant, malgré tout cela, l'ADQ a raflé suffisamment de sièges à l'Assemblée nationale pour former l'opposition officielle.
Comme je le disais plus tôt, si le Québec avait voté pour les idées de Mario Dumont, nous pourrions en conclure que c'est la volonté politique d'une nation de s'orienter de la sorte. Or, nous savons que ce n'est pas le cas, pour les raisons mentionnées précédemment. Pourquoi donc avoir voté pour lui, d'une façon aussi généralisée ? Ce phénomène, à mon avis, en cache un second, autrement plus troublant. Il s'explique aisément par le genre de campagne électorale menée par l'ADQ et le discours qu'a tenu Mario Dumont envers les Québécois depuis un mois. La triste vérité est que le Québécois moyen, au moment de placer son X sur le carton de vote, se contrefiche des enjeux sociaux, de ce qu'implique son vote sur le plan social, provincial, fédéral, national... car le Québécois moyen, malheureusement, ne voit pas plus loin que les limites bien définies de sa cour clôturée où l'herbe doit constamment être plus verte. On ne vote pas pour les partis qui proposent de donner au pays des structures sociales novatrices et avantageuses dont bénéficieront nos enfants plus que nous-mêmes; on ne vote pas pour les partis qui impliquent des changements à grande échelle et qui pourraient aider à redéfinir et à améliorer la place et la réputation du Québec de par le monde; on se vend au premier parti qui nous offre 100$ de plus par semaine, question de pouvoir changer la piscine qui se fait vieille et peut-être, si on est chanceux, repeindre la remise ou se payer quelques bons restos. C'est là où on ignore, d'une façon plus que navrante, toute l'incongruité de ces idées : dans la gestion étatique, chaque dollar de plus que l'on donne aux Québécois est invariablement soustrait ailleurs. Et dans la gestion de l'ADQ, les primes que l'on donnera si généreusement aux petites familles pour qu'ils aient plus d'enfants, d'où seront-elles soustraites ? Du système de santé, du système d'éducation, entre autres. Ils riront bien, les petites familles adéquistes québécoises, quand leurs enfants, qu'ils auront si aisément élevés tout en se payant un peu de luxe, seront en âge d'entrer au Cégep ou à l'université et que les frais de scolarité feront en sorte que seuls les enfants issus de familles aisées auront accès aux études supérieures. Ils riront bien, les petites familles, quand ils devront payer de leur poche les soins médicaux de leurs nombreux enfants. Ils riront bien, les parents, quand leurs enfants leur reprocheront d'avoir vendu les programmes sociaux pour un peu de bien-être immédiat, de la même façon que nous reprochons aujourd'hui aux baby-boomers d'avoir profité sans aucun effort de la prospérité du pays de jadis et de ne vouloir faire, aujourd'hui, aucun sacrifice par rapport à leur retraite dorée et à leur petit bonheur.
Hier, le Québec a démontré hors de tout doute qu'il est un peuple sans orgueil, sans jugement, sans vision et sans ambition.
Non, vraiment, aujourd'hui, je le dis sans détour, je n'ai jamais eu aussi honte d'être Québécois.