Sommes-nous manipulés par les médias ?
Je vous présente aujourd'hui le premier d'une
série de billets portant sur les médias et leur façon de traiter l'information.
Je trouve déplorable qu'on en parle si peu; pourtant, je ne suis pas non plus
surpris : pourquoi les médias voudraient-ils soulever un débat qui risque de
ruiner leur (pseudo)-crédibilité ?
2. L'objectivité, ou l'impossible quête
médiatique
3. Langage, sensationnalisme et
sensationnalisme linguistique
4. Quelques qualités d'un lecteur averti
À la base, le métier d'un journaliste est fort
respectable. Il est là pour servir une population, répondant à besoin
essentiel de toute société contemporaine dont la formulation est devenue depuis
la devise de bon nombre de quotidiens et de chaînes de télévision : avoir le
droit de savoir. Le journaliste est donc un pont entre un individu et le
monde, à une époque où les frontières s'estompent et où les distances se
rétrécissent. Savoir que l'armée de votre voisin du sud se dirige vers votre
village est une information qui peut vous sauver la vie. Savoir de quelle façon
un gouvernement gère les finances publiques peut largement influencer votre
vote, celui de votre voisin et, par extension, tout le profil politique d'un
pays.
Du moment qu'ils se sont imposés en tant que
détenteurs de l'information absolue, les journalistes, conscients d'avoir entre
les mains une arme d'une puissance inouïe mais aussi à double tranchant, ont
établi certains critères destinés à « protéger » leur métier sous l'égide de la
crédibilité. Tout petit, je ne croyais pas aux abracadabrantes histoires
de chasse de mon grand-oncle parce qu'il avait la réputation d'être un fieffé
menteur. La même histoire dans la bouche d'une personne crédible aurait
pu avoir un tout autre impact. On parlera alors de vérité mais surtout d'objectivité,
le motus operandi de tout journaliste qui se respecte et qui veut se faire
respecter.
Si les journalistes ont pris conscience du
pouvoir qu'ils avaient entre les mains, d'autres ont aussi rapidement
compris
que gouverner équivaut à tenir les médias d'une main de fer et à faire
rentrer
les récalicitrants dans le rang. On pratiquait la censure dans l'empire
romain
et en France sous Louis XIV de la même façon qu'on la pratique encore
aujourd'hui à Cuba. S'il existe de tels pays où l'on censure si
effrontément l'information sans même s'en cacher (c'est le cas, par
exemple, de la Chine), sommes-nous naïfs au
point de croire que l'Occident, « Terre de Liberté » comme se plaisent
à le
croire nos voisins du sud, est à l'abri de ces pratiques sournoises ?
La
manipulation de l'information se pratique ici, sous nos yeux, et je
dirais même
que beaucoup de gens la trouvent normale.
Comment ne pas voir que le problème se situe
exactement là où réside notre confort par rapport à un média ? Quand j'achète Le Devoir, sachant que j'y retrouverai
les informations orientées d'une
façon qui me plaît, j'accepte du même coup le fait que l'information qu'on me
sert n'est plus objective. J'accepte que
les journalistes de ce quotidien passent certains faits sous silence et mettent
l'accent sur d'autres afin de correspondre à une ligne idéologique et éditoriale bien tracée. Bref, j'accepte le
fait d'être manipulé, de plein gré,
par le média.
Dans le même ordre d'idées, j'attire votre
attention sur l'article de Julien Brault publié dans le magazine Spirale (#208, mai-juin 2006, p. 32-33)
intitulé « Souveraineté journalistique ». Cet article est, en fait, un compte
rendu de trois essais publiés récemment traitant de la manipulation de l'information
par les médias lors du référendum de 1995. « Un fédéraliste, un « pur et dur » et un Canadien-anglais originaire de
Thunder Bay en viennent à la même conclusion : les médias ont favorisé le
fédéralisme en 1995 ». Sans entrer dans les détails que présente Brault
dans son compte rendu, cet article m'a permis de lancer une réflexion plus
générale sur les médias et le contrôle de l'information.
Manipulés donc, nous le sommes. Si certains journalistes sont plutôt prompts à déshonorer leur profession pour servir sans aucun scrupule les intérêts des politiciens, encore faut-il aiguiser notre esprit critique pour prendre conscience du phénomène. C'est d'ailleurs la seule façon de contrer les effets pervers de la manipulation de l'information : en étant conscient de l'orientation éditoriale de ce que je lis (ou entends), je me permets de douter de la validité des faits qu'on me présente et je suis donc moins susceptible d'être réellement influencé par le média. Je ne m'attends pas à lire un article se portant à la défense de la cause souverainiste dans les pages de La Presse. Au contraire, je sais que ce que j'y lirai sera généralement (et subtilement) orienté de façon à faire briller davantage le point de vue inverse, le « bon côté » de la médaille. Sachant cela, toute lecture devient critique, et toute lecture critique permet au lecteur de faire la part des choses entre l'information orientée et l'information réelle. Quand un quotidien patriotique américain m'annonce que les militaires ont abattu onze talibans alors que, de son côté, Al-Jazeerah n'en mentionne que trois, je suppose, en tant que lecteur critique, que la vérité se situe probablement à mi-chemin entre les deux; du moins sais-je que je ne peux accorder de crédibilité ni à l'un, ni à l'autre, car tout porte à croire que l'information est manipulée.
À suivre...